samedi 1 novembre 2014

Et si les acheteurs avaient plus de pression que les vendeurs sur les grosses négociations?

Bien sûr, si en tant que commercial, vous avez déjà vécu des séances de négociations stressantes face à des acheteurs particulièrement voraces, vous aurez peut être du mal à y croire…

Afin de renforcer ce point de vue, laissez-moi vous raconter une expérience récente lors d’un workshop entre vendeurs ET acheteurs d’une société du CAC 40.


Au terme de la journée, la séance de questions-réponses fût très révélatrice pour l’ensemble des participants.
L’une des questions posées aux acheteurs  par les commerciaux fut :   « Pourquoi nous mettez-vous toujours la pression pendant les négociations ? »
Réponse unanime des acheteurs présents : « Parce que nous aussi nous avons de la pression et bien plus que vous, mais contrairement à vous, nous ne vous le montrons pas ! Si vous osiez nous le rappeler lors des négociations, vous marqueriez des points»
Vous imaginez les rires goguenards des commerciaux avec des petites phrase du style  « Allez, ne nous prenez pas pour des billes ! Vous nous mettez la pression parce que vous aimez ça ! »
En réponse l’un des acheteurs (qui n’était pas vraiment un enfant de cœur) précisa le propos : « En tant qu’acheteur et selon la nature de ce que nous achetons, nous risquons en cas d’erreur (produit acheté trop cher, inadapté ou de mauvaise qualité) de mettre en péril la rentabilité, la marge voire même la pérennité de notre  entreprise. Si vous, commerciaux, vous ratez une vente, vous pouvez vous rattraper sur un autre projet. Si nous nous trompons dans notre achat, si nous achetons mal, nous en prenons parfois pour plusieurs années »

Là, les commerciaux souriaient déjà moins.
Ils venaient de comprendre quelque chose… Ils venaient de comprendre que les acheteurs avaient bien évidemment raison. Un commercial doit pouvoir accepter de rater une vente, de perdre une affaire. Un commercial doit être capable de vivre avec l’échec. C’est un des rares métiers dans l’entreprise où l’on côtoie régulièrement succès et échecs, parfois dans la même journée. Pour le commercial il suffit statistiquement que ses succès soient plus nombreux (en nombre ou en valeur absolue) que ses échecs pour que son année soit bonne. Pour un acheteur, c’est tout à fait différent, un seul échec peut être très douloureux, voire catastrophique.  C’est une épée de Damoclès qui engendre une véritable pression.

Toujours pas convaincu?


Et si nous parlions de Toyota?
Aimeriez-vous être aujourd’hui dans les chaussures de l’acheteur Toyota qui a négocié avec le fabriquant des pédales d’accélérateur ? En demandant toujours plus d’efforts à son fournisseurs (plus vite et moins cher), il a certainement directement et/ou indirectement contribué à créer la situation catastrophique dans laquelle se trouve empêtrée le n°1 mondial : 8 millions de voitures en rappel (pour un coût total estimé à 1milliard et 400 millions €), une perte en bourse au 5 février de 22 milliards € et surtout « l’image  de qualité irréprochable » qui a volé en éclat.
Qui est réellement coupable ?
Si vous avez lu la presse ces derniers jours, vous avez pu noter que la grande majorité des observateurs (spécialistes de l’automobile, concurrents, fournisseurs journalistes…) pointent comme première cause la pression constante sur les équipementiers. Le système Toyota (allier qualité irréprochable et baisse des coûts) longtemps érigé comme modèle par toute l’industrie aurait donc trouvé ses limites.
Même le président de Toyota a déclaré : «Nous avons certainement voulu grandir un peu trop vite».  Selon auto-actu.com Toyota fabrique 29 voitures par salariés et par an là ou Peugeot et Renault sont respectivement à 16 et 18 véhicules. La CGT de l’usine d’Onnaing (Nord Pas de Calais) dénonce d’ailleurs une politique globale qui cherche un maximum de production pour un minimum de temps d’étude et de conception : « …les cadences de production augmentent constamment alors que la masse salariale diminue chez Toyota mais également chez nos fournisseurs… (afin de compenser la baisse de leur propre marge) »
Personne, à ce stade, ne détient de preuves irréfutables du lien de causalité entre la pression que met Toyota sur ses fournisseurs au travers de sa politique achat et ce « Toyota Gate »…mais personne n’est dupe non plus. Et même s’il s’avérait que c’est le sous-traitant qui a fait une erreur dans la fabrication en ne respectant pas scrupuleusement le cahier des charges Toyota ou en négligeant des étapes importantes de contrôle qualité, c’était certainement pour lui l’unique façon de récupérer un peu de marge.
Cette tendance existe dans d’autres industries.
Prenez la construction immobilière ou une entreprise peut malheureusement être choisie en priorité sur un critère de prix, « le fameux mieux disant ». Ce que le donneur d’ordre ignore (ou veut ignorer) c’est que pour tenir ce prix, le constructeur choisi mettra des cloisons un peu plus fines que prévues, diminuera le diamètre de la plomberie ou parfois, bien plus grave, utilisera un bêton pas assez ferraillé, mettant en péril la structure même de la construction.
Nous pourrions multiplier ainsi les exemples, même dans les activités de services.

Moralité, l’acheteur a plus de pression que le commercial.

Il a celle d’acheter au meilleur prix, afin de ne pas se faire reprocher plus tard d’avoir mal négocié et il a celle d’acheter le bon produit. Parfois ça passe, parfois ça casse. C’est en quelque sorte une gestion des risques.
Que vous soyez commercial dans le secteur de l’automobile ou pas, c’est votre devoir de commercial de rappeler aux acheteurs, qui vous mettent une pression excessive, qu’il  font courir un grand risque à leur entreprise s’ils décident de choisir uniquement au travers du critère prix. Bien sûr, ils vous riront au nez, mais ce n’est pas la façade qui compte… Ce qui compte c’est qu’au fond d’eux, ils intègrent parfaitement votre propos et prennent conscience des risques. Ce qui compte, c’est qu’ils se transforment en « supplier advocate » en allant ensuite défendre votre cause auprès de leurs clients internes.
Donc la prochaine fois qu’un acheteur vous mettra une pression illégitime sur vos tarifs alors que votre solution est clairement supérieure aux autres, osez dégainer immédiatement les bons arguments. Vous limiterez son appétit initial.
Et si malheureusement cela ne suffisait pas, écrivez un courrier aux dirigeants pour décrire clairement (et sans agressivité) les dangers du choix sur le point d’être pris… Cela remet les enjeux sur les bonnes épaules, et finalement  pour vous, quel est le risque?
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« Souvenez-vous d’Alamo ! » criaient les Texans pour se donner du courage face aux indiens.
« Souvenez-vous de Toyota ! » quand vous préparerez votre prochaine négociation.
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Allez bon business à tous!
Christian Lateur